Crise du coronavirus : faut-il payer les loyers commerciaux du 2e trimestre 2020 ?
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Crise du coronavirus : faut-il payer les loyers commerciaux du 2e trimestre 2020 ?
Philippe JULIEN
Avocat associé Cabinet PDGB
Avocat associé du département Droit commercial, contentieux et arbitrage du cabinet PDGB, Philippe Julien intervient principalement en contentieux des affaires, traitement des difficultés des entreprises et baux commerciaux.
En période de confinement, et alors que de nombreux commerces sont désormais fermés, les locataires commerciaux pourront-ils invoquer la force majeure ou l’imprévision pour cesser de payer leurs loyers ? Me Philippe Julien fait un point sur la question.
1.
Le Président de la République a annoncé lundi 16 mars au soir, parmi les mesures visant à protéger les PME, la « suspension des factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que des loyers. »
Depuis lors, une loi d’urgence a été votée au Parlement le 23 mars (Loi 2020-290 du 23-3-2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 : JO du 24 texte no 2). Cette loi habilite le Gouvernement à prendre des mesures d’exception par voie d’ordonnance concernant notamment les loyers des locaux professionnels (art. 11). Mais ces mesures, dont on ne connaît pas encore la teneur exacte, ne pourront concerner que le report ou l’étalement des loyers et ne bénéficieront qu’aux microentreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie. Trois enseignements d’ores et déjà :
· – Les PME, ETI et GE ne seront pas aidées dans le cadre de ce dispositif et devront faire avec l’arsenal juridique existant ;
· – ll n’y aura pas de mesure d’annulation de loyer ;
· – Pour les TPE, reste à voir si seules les entreprises dont l’activité est formellement arrêtée (restaurants notamment) bénéficieront des mesures ou si cela sera étendu au-delà.
2.
Dans l’attente de connaître précisément les contours de ces mesures concernant le paiement des loyers commerciaux en période de confinement, et alors que certains bailleurs institutionnels annoncent eux-mêmes des mesures de suspension en faveur des commerces de proximité, voici en urgence quelques réflexions juridiques sur le sujet.
3.
Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a récemment annoncé que l’épidémie de coronavirus devait être considérée comme « un cas de force majeure pour les entreprises, salariés et employeurs ». Cette déclaration, limitée aux « marchés publics de l’Etat », n’a évidemment pas pour effet de transformer l’épidémie de coronavirus en événement de force majeure justifiant l’inexécution de toutes les obligations contractuelles de droit privé.
4.
Revenons aux sources de l’article 1218 du Code civil, qui dispose :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités pas des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».
5.
En vertu de ce texte, la force majeure est caractérisée lorsque l’événement survenu était imprévisible, irrésistible et extérieur.
La condition d’extériorité n’est pas en débat dans la mesure où le débiteur n’est pas à l’origine de l’épidémie. La condition d’imprévisibilité ne semble pas non plus présenter de difficulté particulière : dès lors que la conclusion du contrat est antérieure à la survenance de l’épidémie, les parties ne pouvaient la prévoir, en tout cas pas dans ses effets actuels.
C’est davantage le critère d’irrésistibilité qui pose question. L’article 1218 du Code civil précise que la force majeure est l’événement « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées » et qui « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Pour vérifier si cette condition est validée, deux situations sont à distinguer.
6.
La première hypothèse est celle dans laquelle un arrêté a interdit l’ouverture d’un local commercial exploité en vertu d’un bail en raison de sa destination. Dans un tel cas, le bailleur n’est plus en mesure de satisfaire à son obligation de délivrance (Cass. 3e civ. 7-3-2006 no 04-19.639) en raison d’un événement de force majeure qui aura pour effet de suspendre l’exécution du contrat par les parties.
On peut ajouter en toute hypothèse qu’en présence d’une privation totale de jouissance non imputable au preneur, ce dernier pourra faire valoir l’exception d’inexécution de l’article 1220 du Code civil, suivant lequel une « partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle », cette suspension devant « être notifiée dans les meilleurs délais ». Le locataire devra ainsi notifier au bailleur qu’il ne paiera pas les loyers pendant la période d’interdiction d’activité.
7.
En conséquence, les entreprises dont l’activité économique est consubstantiellement attachée à l’exploitation de leur local commercial (tout le commerce de détail notamment), peuvent, sans prendre de risque inconsidéré selon nous, suspendre le paiement de leurs loyers à compter du 2e trimestre 2020 (que le loyer soit payable à terme échu ou à échoir) en invoquant la survenance d’un événement de force majeure et l’exception d’inexécution de l’article 1220 du Code civil. Il est fortement recommandé de notifier cette suspension au bailleur et de se conformer, plus généralement, au processus décrit dans le bail, le cas échéant, en cas de force majeure.
8.
La seconde hypothèse est la suivante : en raison d’une baisse de son chiffre d’affaires due à la survenance de l’épidémie de coronavirus, le preneur à bail commercial ne peut plus assurer le paiement des loyers. Cette situation est plus délicate pour le preneur puisque, d’une part, le bailleur respecte bien son obligation de délivrance et, d’autre part, en vertu de l’adage « genera non pereunt » (les choses de genre ne se périssent pas), les juges peinent à admettre la force majeure pour justifier l’inexécution d’une obligation monétaire. A ce titre, la Cour de cassation a notamment jugé que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. com. 16-9-2014 no 13-20.306 F-PB : RJDA 11/14 no 886).
9.
Cette position jurisprudentielle s’explique par le fait que l’argent, qui est une chose fongible, peut toujours être remplacée, de sorte qu’il ne serait pas impossible pour le locataire de payer ses loyers. Ainsi, dès lors qu’il n’est pas impossible pour le débiteur d’exécuter son obligation, mais que cette exécution est seulement rendue plus difficile par les circonstances, la force majeure ne peut pas être retenue (Cass. com. 31-5-1976, no 75-14.625 : Bull. civ. IV no 186). Au contraire, lorsque le débiteur parvient à prouver que l’exécution de l’obligation était rendue impossible en raison de la survenance d’une épidémie, le critère d’irrésistibilité serait caractérisé et la force majeure retenue (CA Paris 17-3-2016 no 15/04263 : « Le caractère avéré de l’épidémie qui a frappé l’Afrique de l’Ouest à partir du mois de décembre 2013, même à la considérer comme un cas de force majeure, ne suffit pas à établir ipso facto que la baisse ou l’absence de trésorerie invoquées par la société appelante lui serait imputable, faute d’éléments comptables »).
Il a notamment été jugé qu’un défaut de paiement était justifié par la survenance d’une épidémie qui a eu des conséquences irrésistibles pour l’exploitation d’un débiteur (CA Bourges 21-5-2010 no 09/01290).
10.
En conséquence, le locataire pourrait être déchargé de son obligation de payer les loyers si ce paiement a été rendu impossible par la survenance de l’épidémie de coronavirus. Au contraire, lorsque l’exécution de son obligation est seulement plus difficile, il ne pourra pas bénéficier de la force majeure et devra solliciter la mise en œuvre d’autres mécanismes.
11.
Pour les entreprises se trouvant dans une situation de disparition drastique de chiffre d’affaires, il est donc recommandé de notifier à leur bailleur la suspension des loyers sur le fondement de la force majeure, dans le respect du processus décrit, le cas échéant, au bail, en documentant sérieusement sur le plan comptable et financier l’impossibilité (et pas seulement la difficulté) de régler le loyer pendant la période de confinement. Il est recommandé, en cas de réception d’un commandement de payer visant la clause résolutoire adressé par le bailleur – mais cela paraît improbable car les huissiers ne délivrent désormais les actes qu’au compte-gouttes – de saisir le juge des référés pour obtenir au minimum et en urgence le report de l’exigibilité du deuxième trimestre 2020 au visa de l’article 1343-5 du Code civil. Rappelons-le en effet, le juge peut non seulement échelonner une dette au visa de cet article mais également la reporter, dans la limite de 24 mois.
12.
Autre piste, l’article 1195 du Code civil prévoit que les parties peuvent renégocier leur contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie. En cas d’échec dans la renégociation, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de soumettre ce contrat au juge, qui procédera à son adaptation.
Cette disposition pourrait parfaitement s’appliquer à l’épidémie de coronavirus mais cela suppose que le bail ait été conclu ou renouvelé postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, soit à compter du 1er octobre 2016. Par ailleurs, tant que le juge ne s’est pas prononcé, les parties sont tenues d’appliquer le contrat dans toutes ses dispositions. L’article 1195 du Code civil rappelle en effet que chacune des parties « continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ». Les tribunaux étant eux-mêmes fermés (ou presque) en raison du coronavirus, il n’est pas certain que le recours au juge au visa de l’article 1195 constitue la mesure la plus appropriée à ce stade.
Source : https://abonnes.efl.fr/EFL2/document/?key=BRDA2007&uaId=000B&refId=BRDA_2020-07_F9160AA51-133A-4637-9EB1-C1861A81E2EF
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